25 mai 2012

La chaudrée de bines du Mardi (par Pierre H. Charron)

      – Coudonc, ça sent pas comme d’habitude icitte.
Léopold renifle deux ou trois fois encore et va s’asseoir à la table du coin comme à tous les mardis.
      – Veux-tu me dire Gisèle de pourquoi que le resto sent pas la chaudrée de bines du Mardi? C’est quasiment criminel, bout de viarge, de bout de viarge!
      – C’est que la dernière « batch » a rendu l’âme vers six heures et demie, mon beau Léopold.
      – Le spécial du mardi, yé bon jusqu’à 8 heures, pis y reste encore un bon dix minutes!
      – Ouais, mais va falloir que t’en fasse ton deuil, ça ben l’air que ça va être de même pour un bon ti-boutte!!!
Léopold commence à s’agiter sur sa chaise.
       – Ça fait quinze ans que je viens icitte tous les mardis pis que je mange mes deux bols de bines avec ma beurrée de beurre. Faque r’tourne à cuisine pis ramène moi mon bol de bines... bout de viarge!
      – Je pense qu’il va falloir que tu te contentes de grilled cheese à soir, dit Gisèle. Pis que tu arrives plus de bonne heure pour une secousse… une maudite bonne secousse, j’vas t’dire!
      – J’veux rien savoir de tes grilled cheese. Je veux mon bol de bines…c’est ti assez clair ça!
      – Oublie-ca, mon Léopold… Y’a rien pour faire changer d’idée Fernande ces temps-ci... Est crinquée ben raide….
      – Crinquée ?… Quossé ça? Bout de viarge!!!
Au même moment, le pendule à droite de la hotte à patates frites crache ses huit coups. Fernande sort en courant de la cuisine et se dirige sur le perron du restaurant.
Gisèle regarde la parade passer sous le regard intrigué de Léopold.
       Ben oui mon Léopold, c’est comme ça depuis le début de la semaine. Pis, elle en a pour au moins une bonne demi-heure.  Est vraiment crinquée que j’te dis!
Dehors, Fernande tiens son chaudron à bines de la main gauche et elle varge dessus avec sa louche à grand manche en scandant des slogans contre une loi à deux chiffres. L’autre bord de la rue, le cordonnier Gendron pis le gars du Pawn Shop l’accompagne à l’unisson.
      – Ah ben Bout de viarge! s’insurge Léopold, ces jeunes crisse-là, y’ont même saboté mon Mardi de Chaudrée de bines!  Tu veux-tu ben me dire dans quel monde on vit asteure ma Gisèle???
Gisèle soupire et répond :
       Tu veux-tu que je te fasse  tes grilled cheese, mon beau Léopold ? Je pense qu’il reste encore une casserole de propre dans cuisine.

2 commentaires:

Sylvie a dit…

Sans crier gare, hein ? ;)
C'est ce qui s'appelle attraper la balle au bond, Pierre.
Bravo pour la vivacité. :))

Isabelle Simard a dit…

lol Sacrée Fernande.