25 oct. 2011

Les retrouvailles (par Geneviève Blouin)

La porte du restaurant s'ouvre avec difficulté. Entrent deux mémés frisottées, en pantalons sombres et petites laines noires, avec des cannes bien astiquées et leurs perles des grands jours. À petits pas prudents, elles marchent jusqu'à l'une des banquettes et y prennent place. Les habitués les regardent, l'air surpris. Voilà longtemps que le Délicatessen à Fernande n'a pas eu de visite.

Un peu dures d'oreille, les deux vieilles parlent fort, permettant à tout le monde de suivre leur conversation.

– Hé ben, c'était des belles funérailles ça, ma Gilberte. Ta soeur aurait été contente, j'pense.

– C'était mieux que les funérailles de ton frère en tout cas. Ma nièce avait de quoi payer pour un organiste, elle. Je sais pas que ce t'en pense, Arlette, mais une messe pas d'orgue, je trouve que ça ressemble pas à une vraie messe.

– C'est sûr, quand on fait incinérer, on sauve de l'argent. Pis, en plus, ça évite que tout le monde parle du poids que le défunt avait pris dans les dernières années.

– Oh, ma soeur était pas la pire. Ils l'avaient bien arrangée, elle faisait une belle morte.

– C'est sûr que c'était mieux que notre grand-mère. Tu te souviens-tu?

– Ben oui, heille... Était tellement grosse, les mononcles avaient eu de la misère à sortir le cercueil par la porte après. J'peux pas croire que dans le temps on les exposait dans le salon...

– Ça se peux-tu... Oh, v'là la petite serveuse. Tu prends quoi, toi?

Les deux mémés discutent un moment de leur commande, sous l'oeil impatient de Fernande, résolue à faire tourner rondement son affaire. Finalement, les deux mémés ne commandent chacune qu'un café, qui leur est versé aussitôt.

– C'est dommage que les cousins se voisinent pas plus que ça, hein Gilberte?

– Tu parles de nous autres là ou de mes enfants pis ceux de ma soeur? Ou de ses petits-enfants?

– De nous autres, Gilberte!

– Ah, s'cuse moi, j'étais un peu perdue. Ben, on se voit quand même pas mal.

– Arrête-moi ça! La dernière fois, c'était pour ton frère. Pis ça fait quoi... quatre ans?

– En décembre, oui. Mais les années avant, y'en a eu pas mal.

Les deux mémés sirotent leur café, pensive.

– Tu penses-tu qu'on va se revoir bientôt?

– Pas si c'est pour ma soeur... on est toffe dans famille...

– Peut-être pour matante Émilie.

– Ah ça oui. Dans quelques mois je dirais... Y'avait un de tes fils qui avait pas l'air fort fort non plus...

– Oh, Roger y'a un cancer. 

– Tu penses-tu que ça va être lui le prochain?

– J'espère que non, y'en a pour des années encore y paraît. Ça serait plate d'attendre si longtemps.

– Bon, ben ça risque d'être matante Émilie d'abord.

Un coup de klaxon se fait entendre. Un taxi est arrivé. Arlette termine son café, se lève et embrasse sa cousine sur la joue.

– Allez, prends soin de toi. On se revoit au prochain enterrement.

Fernande la regarde partir. L'autre petite vieille sort de sa poche un carnet de téléphone et un crayon usé. D'une main qui tremble un peu, elle raye un nom dans son carnet. Remarquant le regard de Fernande posé sur elle, elle lève sa tasse de café.

– Heille, la jeunesse, tu pourrais-tu me réchauffer ça?

1 avr. 2011

Fish and Chip

      Salut Léo, me semble que ça fait un bail!
      Jipi, fait pas chier. Je l’ai pas signé ton bail pis le resto est assez grand pour que t’ailles t’asseoir ailleurs…
      Viarge, maudit flic rancunier. T’é ben à pic. Anyway, je suis pas icitte pour ça. Je viens d’ouvrir le local électoral de…
      T’a yeule, le crapet!
     
      Pas un mot de la campagne dans le Deli.
      Pourquoi? Fernande fait dans la prise de position?
      Non, a va servir du poisson tant et aussi longtemps qu’un client va parler de la campagne!
      A va servir de la carpe diem! C’est ben niaiseux. A va fermer c’est pas long. T’sé, des bénévoles, ça mange pis on va être juste à côté, faque.

Finalement, Léo a signé son bail avec son poing. Un peu d’encre rouge coule sur la commissure des lèvres de Jipi.

Eye l’écriveux!!!!! Tu m’enlève cette commi-je sais pas quoi!

Oups…

Finalement, Léo a signé son bail avec son poing. Un peu  Beaucoup Un filet d’encre rouge coule sur la joue de Jipi.

16 févr. 2011

Le Grognon et la Futée (par Pierre H. Charron)


   Envweille le slowmo, monte les marches, y chauffe pas l’dehors icitte
   Écoute, j’ai pas un moteur dans l’cul moé là. Slaque un peu, la vieille
   Arrête de radoter pis embraye.
   Ouais,  ouais..c’est  ca
Toujours la même histoire avec Florence et Maurice. Se tirer la pipe et se picosser, c’était leur façon de se câliner à l’insu de tout le monde. Ils franchirent la porte du resto à Fernande en cette journée de tempête hivernale.
   Tu veux-tu la table dans l’coin ou ben la banquette du fond à matin ?
   Flo, tu l’sais qu’ c’est à ton tour de choisir.  Tu trouveras pas à me le r’noter c’te fois-citte. .Essaye pas !
   Tu vois toujours des pognes où c’qui y’en a pas toé. On prend la table dans le coin d’abord
   Comme si t’avais hésité, tsé. Tu veux toujours la table dans le coin, ça  change rien
   Ah…commences pas pis vas-donc chercher les journaux pis….
   Ouais, ouais..pis oublie pas le cahier-Réno-Bricotruc.
Maurice se dirige vers le présentoir en marmonnant tout bas : Cahier Réno-Patentes à gosses de bonne femme, tu veux dire.
   Qu’est-ce que tu dis, Phil ? lance Florence avec aplomb
   Heu..rien, j’ disais juste : Maudit sciatique à marde, tu m’gosses à matin
   Wein, c’est ça, on va dire…
Maurice revient à la table, dépose les journaux et le couple plonge chacun dans leur lecture en attendant la serveuse.
   R’garde Flo, Y’a une Pas-Vite qui d’mande à Mésange Harvey si a devrait pas accepter une autre femme dans son lit. Comme ça, son mari aurait pas besoin de découcher dans la semaine pis que ça la stresserait moins comme ça. Non, mais faut-tu être gougounne un ti-peu !
   Tu sais-tu ce qui est plus gougounne  que d’écrire des conneries d’même à Mésange Harvey ?
   J’pense que plus gougounne que ça, tu meurs, affirme Maurice, sûr de lui.
   Plus gougounne que ça, mon ti-Momo d’amour, c’est ceux qui lisent ces conneries là !
Maurice ravale sa salive en haussant les sourcils.
   Wein, c’est  ça. Tu peux ben faire c’te face là, dit Florence
   Ben quoi?
   C’est ça
La serveuse se pointe à la table. C’est une nouvelle serveuse.
   Bonjour, je suis Fiona, la nièce à Fernande. Je suis nouvelle et je travaille les week-ends. Je peux prendre votre commande.
   Enchantée de te connaître, Fiona, dit Florence. Pour nous, on va prendre comme d’habitude : Deux spécial lève-tôt
   Pis moi, j’veux un grand verre de lait avec ça, enchaîne Maurice
   Un verre de lait ? répète Fiona avec hésitation
   Oui…, un grand verre de lait en même temps que l’assiette s.v.p
   Heu..oui..c’est noté. Faites-moi signe si vous avez besoin de quelque chose d’autre.
Et elle tourne les talons vers la table voisine.
   Coudonc, Qu’esse qu’y ont toutes à me r’garder comme si j’étais un pédophile quand j’ commande un verre de lait. C’est tu rendu illégal de boire du lait à mon âge. À m’a ben pointé son rack  à 3000 piastres dans face pis j’lai pas dévisagé comme un extra-terrestre la Mam’zelle Silicone-Regardez-moé-dans-les yeux-si –t’es-capable !
   Non, mais tu r’gardais pas le plafond hein ! réplique Florence. Tu saurais même pas m’ dire la couleur de ses cheveux
   Ben..heu…J’dirais châtain pâle..comme blond un ti-peu…
   Wein…c’est ça.. Continue à regarder ton journal
Maurice plonge dans son cahier préféré : Les Sports
    Ah ben Simonac! En plus de couvrir la moitié du cahier de tableaux de stats que personne r’garde, pis d’articles insignifiants pour faire à croire qu’y a du contenu, c’est deux de pique de Scabs là nous bourrent de vielles nouvelles que j’ai lues  partout hier!
    Arrête, c’est toi qui en perd des bouttes , j’pense
    Hey…Je l’sais moé que c’est d’la vieille nouvelle.. R’garde, c’est écrit : Price, le héros du match. Pis, c’est qu’y ont perdu 8-5 hier
    Tu l’sais ben que même s’il perde 12-2, que Price va avoir une étoile pareil..Faque ça tiens pas la route ton argument.
    Non, non, j’te l’dis…Y remplissent leur torchon de vielles nouvelles. C’est des arnaqueurs pis c’est toute !  Y me font suer ! gronde Maurice en faisant sursauter les tables avoisinantes
    Calme toé…Ta pression va monter pis on a pas tes pilules avec nous autres.
    J’hais ça me faire niaiser. Y nous prennent pour des caves !!
À ce moment précis, la porte s’ouvre dans un brouhaha soudain. Joey, le camelot entre avec ses grosses bottes pleines de neige et dépose deux piles de journaux bien ficelés
   Désolé M’dame Fernande pour le retard, c’est l’enfer à matin. J’suis déjà en retard de deux heures.
Florence regarde son Maurice avec ses jolis yeux du Dimanche.
   Alors, mon gros nounours, c’est qui l’cave à matin ?
   ….Wein..heu….ben, c’est ça là …
Maurice se lève pour aller chercher le journal du jour en clopinant. Quand il revient, il esquisse son sourire coupable le plus niais et Florence lui retourne en disant :
   C’est ça !
Ce matin Florence était aux anges, elle put lire deux cahiers Réno-Brico au complet sans interruptions et dans un silence exemplaire.

11 févr. 2011

A l'colisée


– Calvaire, y’a juste frappé à porte de Charette!
– Pis le maire Embaume a eu ce qui voulait, ce qu’il souhaitait
– Y va frapper à porte à Bateman pis la Ligue va lui demander, le cash avant ant

Y a des hommes de rien qui dépensent pis ça m'fait rien
Y a des hommes de rien qui dépensent pis qui dépensent
Y a des hommes de rien qui dépensent pis ça m'fait rien

– Je l’entends Embaume: «Ah, je voudrais ben… J'voudrais ben dans ligue rentrer er…»
– Pis l’autre d’y répondre: « Rentrez donc ben hardiment, le cash avant ant »
– C’est ça, pis la bonne femme lui a demandé: un plan d’afffaire, d’affaire
– Pis y’a répondu, Ah je voudrais ben madame, J'voudrais ben vot’argent

Y a des hommes de rien qui dépensent pis ça m'fait rien
Y a des hommes de rien qui dépensent pis qui dépensent
Y a des hommes de rien qui dépensent pis ça m'fait rien

– Après qu'il fut ben réchauffé, le cash avant ant
– C’est ça, la bonne femme lui a demandé ce qu’elle voulait ce qu'elle souhaitait
– Pis lui: Ah je voudrais ben madame, de kessé é?
– DIRE PUBLIQUEMENT QUE LE BUT DE CÔTÉ ÉTAIT BON!

NDLR: Pantoute man…

4 févr. 2011

Courriel

À: Le Flic «Léo»
De: Fernande D.

Objet: Photos de Marcel
 Salut,

J'ai trouvé des photos dans l'ordi.  Je pense que c'est Marcel l'été dernier. Y'en a d'autres. M'a te les montrer mais que tu passes.

Je te fais la bise. XX
Fernande



Ça l'air haut!


C'est haut, mais ça descend vite!
Toute sorte de monde.    
Y'ont pas l'air malades!
Y'ont l'air à tenir à leur toutou! C'est dur à gagner.
Une différence de grandeur!
C'est le gagnant de la course de bicycle.

2 févr. 2011

(In) Fidèles



–  Fernande? T’sé Luidgi qui te tourne autour. J’y ai mis Marteau au cul…
– Tant qu’à moi, je lui mettrais dedans…
– Ton p’tit passage en dedans t’a donné du vocabulaire, ma vieille!
– Non, juste un peu de lucidité. Ça fait trois offres qu’il me fait pour la bâtisse.
– On va te le squeezer…
– T’sé Léo, tu pourrais venir chez nous le soir, comme l’autre fois à Noël.
– Bah, pas de ma faute, si je commence plus tard, pis je veux pas que les clients jasent.
– T'sé Léo, ton «juste un petit peu de gris» sul chest, j’trouve ça cute…
– Ma toué…

30 janv. 2011

Fondue


– Fernande?
– Oui, Momo?
– Tu peux t’asseoir deux secondes?
– C’est que, t’as vu le resto?
– Deux secondes, j’ai quelque chose à te demander.
– Vas-y?
– T’aurais quelque chose pour me nettoyer l’estomac. Chuis allé mangé de la fondue hier chez ma bru, pis…
– Pis, quoi, c’est bon, de la chinoise?
– Oui, mais elle a pas dit tout de suite c’était quoi la viande. J’ai pas voulu parler tout de suite. Faqu’arrivé à maison, j’ai même pas réussi à être malade. J’ai pris du rhum épicé, pis même un peu de bicarbonate avec du vinaigre, mais j’ai encore une boule. Comme une grosse poche dans le ventre qui veut pas partir.
– Bon yenne, Momo, qu’est-ce t’as mangé?
– J’ai presque honte. Ben pas honte. As-tu déjà mangé un héros de ton enfance?
– Tu ferais pas un peu de fièvre, toi?
– Non, je te jure… Pis c’est pas ça le pire. À matin, je vais faire un petit marché, pis califfe, je r’tombe dessus!
– Momo, j’ai du travail…
– Attends, Fernande, m’a te le montrer, j’ai pris une photo avec mon cell:



 (suspense, Momo a de la misère avec les pitons)


















Momo a mangé du Skippy

26 janv. 2011

Le gaz de chisse


– Ça s’peut pas, ils l’ont nommé boss des gaz de chisse.
– Bah, c’est pas à lui que l’eau de la champlure va pogner en feu, t’sé ben, y’a pas de danger!
– Pis l’autre, là, la lionne qui devient la boss de la construction, ça s’peut tu nommer une…
– Eye! Maudit macho! T’allais dire «une femme».
– Ben t’as déjà vu… Ben, moé, toutes les femmes qui pognent un marteau, il le pogne par le milieu.
– Pis après?
– Ça enlève de la force. Faut le pogner par le boutte. Anyway, moé, la Lionne, j’en connais rien qu’une, pis elle, elle avait de la pogne!
– Tu vas voir, a va te les trimer les gros bras. Pis j’ai entendu dire de Madame Laramée à l’épicerie, que la Lionne, a l’a peur de l’eau. Faque pas de danger qu’a l’aille sur le bateau de l’Arcurvo!
– C’est des niaiseries. Pis à T.V. qui dit qu’a va séparer le bon grain de l’ivraie. Taboire, ça fait pas moderne, son affaire. Ça fait chaire un peu. Ça prouve juste que t’as pas de couleur en politique. Quand c’est fini, tu vas du bord du vent. Parce que si tu y fais face, pis qu’y fait frette, ben tes lèvres y gercent toutes…
– Qu’est-ce tu manges?
– M’a prendre le pain de viande. Avec des frites.
– Au fait, c’est quoi des gaz de chisse?
– Ben, si j’ai bien compris, c’est comme si la Terre avait des flatulences, pis qu’essayaient de mettre ça dans une bouteille après lui avoir enfilé un suppositoire. Le problème, c’est que ça déborde un peu sur les bords.
– J’ai pu faim…

– Solange, Fernand, on mange quoi à midi?
– Ton super pain de viande, ma Fernande!
– Moi, rien, j’ai pu faim…
– O.k.


– Pis, Solange, t’as remarqué à tivi. Un casque dur entre la ministre pis ta lionne. Ça aurait été ben plus drôle de se le mettre sa tête!
– Té niaiseux! Tu sais c'est quoi le nom de l’aumonier pour des gars comme toi? L’abbé Tîse.



19 janv. 2011

Mettons...

— Il l’a pas cru t’sé ben.
— Parce que tu pensais sérieusement qu’il allait le crère?
— Sais pas.
— Mettons que je te dis que tu es un mange-marde.
— Eille!
— J’ai dit mettons. Ben toi, tu vas dire que c’est pas vrai?
— Ben pas autant que toi, mettons…
—Té bouché ou quoi. Je r’commence. Tu es tout seul avec Fernande dans cuisine, pis tu ressors ben scandalisé parce qu’a t’a pincé une fesse…
— J’aimerais ça…
— Niaiseux, mettons que t’es fâché, pis qu’elle a dit que c’est pas vrai. Pour éviter la grosse chicane, elle me demande de régler l'affaire. Pour qui tu penses que je vais décider?
— Ben moé, chu ton chum!
— Non… Pour Fernande.
— Té un écoeurant!
— Peut-être, mais j’ai droit à trois réfill de café gratis par exemple! C’est de même que ça marche. Pis moi, je vais te dire, ben ben convaincu, que je vais lui parler dans le privé pour y dire de pas recommencer.

— Hé les gars, je vous écoute parler depuis tout à l’heure. Moi, j’en ai une pas pire pour vous.
— Vas-y mon Dieudonné!
— Bien ton mangeux de caca, il a attouché sexuellement Fernande il y a 25 ans.
 — Cé un écoeurant!
— Non, j’image, là. Bien ce monsieur là, il est revenu hier au restaurant.
— Tu as appelé la police? Ça prend une tonne de culot pour r’venir chez sa victime. Qu’est-ce qui voulait?
— Demander Fernande en mariage…

16 janv. 2011

Marcelle et Ninon

– Avant de partir, Armand arrêtait pas d’imaginer un paquet d’affaires pas possibles!
La dernière était la plus bizarre. Y se demandait pourquoi y’avait toujours des tites graines dans le tiroir à ustensiles. Y’é mort avant de le trouver.
– Des tites graines?
– Ben oui, plus petites que celles des toasts. Sans c’est sans compter la trappe à bas.
– De kossé?
– Ben Armand disait que les fabricants de chéseuses mettaient une trappe pour que des bas tombent dedans. Parce que je chialais toujours après chaque brassée…
– Ça pas d’allure!
– Assez d’allure pour qu’Armand défasse la chéseuse pour aller voir. Et y’a pas trouvé de bas… Pis je te dis pas comment il était fatiguant au souper. Y laissait tomber sa fourchette les lundis, mercredis et vendredis. Pis les mardis et jeudis, son couteau. Y répétait: Tu vas voir, on va avoir de la visite.
– De kossé?
– Ben une fourchette pour une femme, pis un couteau, pour un homme. Mais j’avais beau y répéter qu’y fallait que ça arrive par hasard, il recommençait tout le temps. Y venait jamais personne.
– C’est pas drôle…
– Bah, inquiète toué pas. R’garde ce que j’ai trouvé dans ses affaires…
– Un gratteux? Qu’est-ce tu vas faire si tu gagnes un bon montant?
– J’vas t’inviter à déjeuner plus souvent!

Cling

«Ah ben joualvert! Mon couteau!»

 

10 janv. 2011

Mosaïque

– Madame? Je peux prendre une photo de votre tasse?
– Méchant moineau! Pourquoi faire? Tu les trouves laites?
– Excusez-moi, je m’appelle François. Photographe amateur. J’ai un projet de mosaïque d’objets courants. Et je vois vos tasses. J’voudrais faire une mosaïque de tasses.
– Tu dis tu où tu les prends? De la pub, ça fait jamais de mal…
– Sans problème! Même que.
– Que quoi? Dépêche, j’ai ben des clients.
– Sur votre babillard, à l’entrée, je vais mettre un mot. Pour que ceux qui le veulent m’envoient une photo de leur «plus belle» tasse.
– J’te r’garde les yeux, mon beau brun. Je le sais ce que tu veux. Des vieilles tasses, hein? Du genre qui auraient faite dans la pub de la Huot qui nous disait qu’à nous faisait bien manger?
– Genre…

Quelques minutes plus tard, François résume sa demande, avec son adresse de courriel.
Et le lendemain, il est venu épingler une de ses photos.
Se rendra-t-il à une douzaine? (ça ferait une belle mosaïque équilibrée, non?)



7 janv. 2011

Gontrand et la poutine


– On va prendre la table près de la vitrine, c’est la meilleure place.
– On ne nous place pas?
– T’es chez Fernande ici, pas au Ritz!
– Tu commandes quoi?
– Ben de la poutine, c’t’affaire. Tu voulais en manger à tout prix.
– Mais nous sommes dans un deli…

– Bonjour Éric! Tu nous amènes de la belle visite?
– Bonjour madame. Je me présente, Gontrand De la Bellefeuille. Vous êtes?
– Fernande pour les intimes.
­– Pis on est pas mal toute tes intimes, hein?
– Maudit fou Éric!

Gontrand prend alors la baguette de la parole.

– Madame Fernande, si je puis me permettre…
– Vas-y mon beau Gontrand!
– Ce n’est pas un deli ici, c’est plutôt un…
– Un arrêt de mort si tu ne commandes pas! Je l’sais. T’es pas le premier Français à me rabâcher la même chose. Quand mon père a acheté icitte, le gros néon dehors était là. Faque y reste là parce que mon argent, je le consacre à autre chose. T’sais, le soir, j’suis pas mal tanné de la friture, faque je mange du rosbif…
– Ça va, je vais prendre cette poutine.
– Une petite, une moyenne ou une grosse, le cousin?
– Avez-vous la version Vladimir?
– Eye Éric, si ton chum veut faire de l’esprit de bottine, va chez Yellow. J’ai pas de temps à perdre.
– Deux moyennes, Fernande…

10 secondes plus tard, tous les clients entendent le métronome du diner: «Deux Pou médium pour la six!»

Près de la vitrine, Éric se penche un peu.

– Gontrand, écoute-moi. Tu gobes Vladimir, pis tu poses pas de question. Surtout que tu vas trouver ça TRÈS bon.
– Mais ce n’est pas un deli…
– Non, c’est chez Fernande.